11/04/2025 legrandsoir.info  9min #274566

La lutte pour le droit à l'information doit continuer !

Marie-France DEPREZ

Le 5 avril 2010, WikiLeaks publiait la vidéo Collateral Murder.
Cette vidéo est le contraire de la propagande : le modèle de journalisme scientifique proposé par Julian Assange.

La propagande est un élément que nous connaissons tous bien, depuis la naissance. Nous la connaissons si bien que nous ne la détectons plus.
En temps de paix, elle peut être légère, presqu'invisible - plus dangereuse peut-être d'ailleurs. Mais en temps de guerre, elle peut se déchaîner car au fond comme l'avait dit Assange, les peuples n'aiment pas la guerre...il faut des mensonges pour la leur faire accepter.

Aujourd'hui, elle est très virulente. Ce ne sont pas seulement les journaux, ce qu'on appelle les informations, les journaux télévisés, non ce sont aussi les émissions, les films, les thématiques retenues.

Aujourd'hui, il faut faire peur pour faire accepter des préparatifs de guerre, c'est-à-dire faire marcher le commerce des armes et tout ce qui l'entoure, enrichir un peu plus encore les multinationales de l'armement.

La peur, on nous la distille depuis des années, peur de perdre son travail, peur de perdre ses revenus, peur de la pauvreté. Aujourd'hui peur de l'attaque ennemie.

Le 5 avril 2010, WikiLeaks publiait la vidéo Collateral Murder.

Cette vidéo faisait partie de milliers de documents authentiques donnant pour la première fois une vision claire et malheureusement réelle de ce qu'était la guerre en Irak.

La vidéo montre des crimes de guerre avérés. Nils Melzer, alors qu'il était rapporteur de l'ONU concernant la torture et les traitements dégradants, a, plusieurs fois, souligné que tirer sur des blessés au sol - seraient-ils même armés - est un crime de guerre. Or cette vidéo montre des soldats des États-Unis tirant sur des civils désarmés et recommençant à tirer sur les blessés, puis ensuite sur les personnes portant secours aux blessés. Cette vidéo montre et fait entendre que ces soldats tirent après avoir obtenu l'autorisation d'ouvrir le feu de leur commandement, fait entendre aussi qu'ils se moquent de leur victimes comme si elles n'avaient aucune valeur.

La vidéo montre bien des crimes de guerre. Cependant, Julian Assange lorsqu'il a présenté les documents pour la première fois, a affirmé que le prouver reviendrait à un tribunal. En les publiant, WikiLeaks avait effectivement l'espoir qu'ils puissent servir lors de procès contre les auteurs des crimes.

Ces procès n'ont jamais eu lieu et seul le journaliste, Julian Assange et la lanceuse d'alerte, Chelsea Manning ont été arrêtés et condamnés.

En ces jours proches de cette date anniversaire, il est important de rappeler et de montrer Collateral Murder.

Cette vidéo est l'exemple même de ce que Julian Assange appelle le journalisme scientifique, un document authentique qui montre des preuves d'exactions qui peuvent être vérifiées.
Collateral Murder représente une rupture dans le journalisme, elle est l'opposé du journalisme complaisant, qui se laisse "embarquer" par des belligérants mettant en scène l'image qu'ils veulent donner d'eux-mêmes.

Les exactions sont filmées par des soldats étasuniens à bord d'un hélicoptère. Pour les États-Unis, la vidéo n'aurait jamais du être diffusée et c'est pour cela que Julian Assange a passé 14 années privé de liberté (dont plus de 5 années en isolement carcéral) et c'est pourquoi WikiLeaks reste pour eux une cible à détruire. C'est pour cela aussi que, comme l'a rappelé, le 5 avril, Stefania Maurizi sur X, Chelsea Manning a passé 8 ans en prison, pendant lesquelles elle a, par trois fois, tenté de se suicider.

Collateral Murder, comme les autres documents publiés par WikiLeaks et divulgués par Chelsea Manning, aurait du servir lors de procès à l'encontre de ceux qui avaient commis et/ou commandité ces crimes mais, ces personnes n'ont jamais été inquiétées le moins du monde.

Comme l'a fait remarquer Kristinn Hrafnsson, les États-Unis ont tout fait pour faire oublier la vidéo. Lors des procédures en extradition de Julian Assange, Collateral Murder n'est cité à aucun endroit dans les actes d'accusation. S'il l'avait été, la vidéo aurait pu être montrée au tribunal ce qui aurait certainement provoqué une réaction très hostile, un séisme que les autorités judiciaires ont absolument voulu éviter tout au long des années de procédures à l'encontre d'Assange.

Malgré le droit international, les responsables n'ont pas été poursuivis. Aujourd'hui, cette situation est plus choquante encore tant elle résonne avec la situation en Palestine. Chaque jour, Israël commet des crimes de guerre mais dans ce cas encore, les responsables ne sont pas inquiétés.

Alors que Netanyahou est sous le coup d'un mandat d'arrêt devant la Cour pénale internationale (CPI), il se déplace là où il le veut.

Début avril, le premier ministre israélien s'est rendu en Hongrie à l'invitation de son allié Viktor Orban, bravant ouvertement le mandat d'arrêt émis par la Cour pénale internationale - dont Orban a d'ailleurs décidé de retirer la Hongrie à cette occasion. Pour se rendre ensuite aux États-Unis, l'avion de Netanyahou a dû survoler les espaces aériens de pays européens qui, en tout temps, devraient respecter les injonctions de la CPI mais ne le font pas.

On peut cependant prendre comme une bonne nouvelle le fait que le trajet de l'avion ait été allongé de centaines de kilomètres pour éviter certains pays, Irlande, Islande et Pays-Bas, dont Netanyahou craignait qu'ils n'appliquent les injonctions de la CPI.

Le premier ministre belge, Bart De Wever a, quant à lui, affirmé que la Belgique n'exécuterait pas le mandat d'arrêt de la CPI pour Netanyahou s'il en avait l'occasion. Il a ajouté (en réponse à une question sur un plateau de la VRT - télévision publique néerlandophone de la Belgique) : « Il y a aussi la realpolitik. Je pense qu'aucun État européen n'arrêterait Netanyahou s'il devait être sur son territoire ».

Ce refus de respecter le droit international est en contradiction avec le fait que par son adhésion au Statut de Rome qui fonde la CPI, la Belgique a l'obligation légale de coopérer avec la cour.
La ministre de la Justice, Annelies Verlinden, a d'ailleurs pris ses distances avec cette déclaration publique du premier ministre.

Le non respect du droit international est un levier sur lequel les peuples doivent agir.
Des documents comme Collateral Murder peuvent aider à ce qu'un nombre de plus en plus grand de personnes agissent. Bien sûr, il faudrait aussi que de plus en plus de journalistes s'emparent de tels documents et les diffusent.

Comment continuer à défendre le droit à l'information ?

Lors de son passage à Bruxelles en mars, la journaliste Stefania Maurizi a donné une conférence au cour de laquelle, elle a souligné qu'en général, ce que nous observons et que les médias nous donnent à observer, c'est ce qui est visible, le niveau politique visible (par ailleurs important à connaître aussi) mais qu'il existe un autre niveau, un niveau qu'elle appelle « secret power ». Il correspond en partie à ce qu'Eisenhower avait appelé pour la première fois le complexe militaro-industriel. Celui-là agit afin de soutenir ses propres intérêts et le plus souvent de façon cachée.
Nous n'avons aucun contrôle sur ce niveau puisque l'accès aux informations à son sujet est limité.
S'il est admissible et compréhensible que certains documents qui visent à la protection et à la sécurité des personnes soient protégés, une grande quantité des documents tenus secrets sont en fait des documents d'intérêt public et à ce titre, devraient être connus du public.

Avec la publication de milliers de documents de ce type, WikiLeaks a permis pour la première fois au public d'avoir accès à ce niveau de politique secrète. On pouvait ainsi se rendre compte de ce qu'était l'objectif de ces politiques.

Cette mise à la connaissance du public était inadmissible pour les États-Unis. Ils ont réagi, soutenus par d'autres puissances, Royaume-Uni bien sûr, Australie, Suède, Équateur, entre autres. Et Assange a été privé de 14 années de sa vie.

Arrêté pour la première fois en décembre 2010 et à partir de ce jour privé de liberté, il a été incarcéré à la prison de Belmarsh le 11 avril 2019, placé à l'isolement dans l'attente d'une décision du Royaume-Uni quant à la demande d'extradition des États-Unis.

Une demande d'extradition qui n'aurait pas dû être envisagée puisque motivée par des raisons politiques. Mais on se rend compte que quand les raisons politiques des uns et des autres convergent, on peut éviter de les rappeler, on peut ne pas s'en occuper. Toute la procédure de demande d'extradition d'Assange a ainsi été menée sous couvert de mensonges - accusé d'espionnage - et en plus, teintée d'irrégularités.

Aujourd'hui, Assange est libre mais comme il l'a lui-même dit, sa liberté a été acquise au détriment de la justice puisqu'il a été amené à signer un accord dans lequel son travail de journaliste est présenté comme de l'espionnage.

C'était la première fois que la loi sur l'espionnage (Espionage Act de 1917) était utilisée contre un journaliste, après avoir été progressivement étendue aux lanceurs d'alerte.

Faire changer cette loi, pour que plus jamais elle ne puisse être utilisée contre les lanceurs d'alerte et les journalistes est une tâche qui incombe au peuple des États-Unis. Une campagne a été lancée en ce sens par la députée Rashida Tlaib, députée d'origine palestinienne, réélue au Congrès en novembre 2024. On peut se douter de la difficulté de mener cette campagne aujourd'hui.

Aujourd'hui, Assange est libre mais les États-Unis veulent toujours détruire WikiLeaks et la révolution qu'il représente dans le journalisme. C'est pourquoi outre la révision de la loi sur l'espionnage, la campagne pour la grâce d'Assange est importante.

Cette campagne menée largement en Australie et soutenue par Free Assange Wave est une campagne qui met en lumière l'injustice d'avoir condamné un journaliste pour des faits de journalisme. En ce sens (et même si l'on peut penser qu'il y a peu de chance que Trump accorde une grâce à celui qu'il a lui-même fait inculper), la campagne est importante.

Aucune révision du procès n'est envisageable puisque l'accord de plaidoyer stipule qu'Assange ne pourra pas faire appel mais au delà des textes de droit, une certaine justice pourrait cependant être obtenue par la reconnaissance publique de l'abus qui consiste à condamner un journaliste qui n'a fait que son travail - trop bien fait peut-être. Cette condamnation assimile ce travail à de l'espionnage, moyen de condamner le journaliste en se mettant à l'abri des critiques concernant la liberté de la presse protégée par le Premier Amendement de la Constitution des États-Unis.

La grâce serait une reconnaissance de cette injustice, de cette « erreur ». Comme l'a dit Assange, il existe une contradiction entre le Premier Amendement et l'Espionage Act.

Rappeler les publications de WikiLeaks est utile et nécessaire, Collateral Murder en ce mois d'avril, mais aussi les  War Logs, les documents concernant Guantánamo etc. On peut avec ces outils espérer construire un mouvement qui s'élargissant, amènerait l'opinion publique à exprimer son soutien à Assange et à WikiLeaks. Un soutien motivé par une volonté d'avoir accès à une information non censurée, pas limitée seulement ce que les puissants acceptent qu'il nous soit dit.

Un soutien motivé par la volonté de connaître le monde pour y agir.

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